Parmi les objets les plus mystérieux de l’histoire biblique, l’Arche d’Alliance occupe une place singulière. Décrite dans l’Ancien Testament comme un coffre sacré recouvert d’or, elle aurait contenu les Tables de la Loi données à Moïse sur le mont Sinaï. Plus qu’un simple artefact religieux, l’Arche représentait la présence de Dieu auprès du peuple d’Israël, guidant ses déplacements et consacrant ses victoires. Pourtant, son destin demeure l’une des énigmes archéologiques les plus fascinantes.
Si aucune preuve matérielle de son existence n’a jamais été retrouvée, les archéologues ont néanmoins identifié des sites où le Tabernacle — la tente sacrée qui abritait l’Arche — aurait été installé avant sa disparition définitive. De Shiloh à Kiriath-Jearim, en passant par Jérusalem, ces lieux révèlent des traces cultuelles qui semblent correspondre aux récits bibliques. Entre découvertes archéologiques, traditions anciennes et spéculations modernes, le parcours de l’Arche se dessine par fragments, oscillant entre histoire et mythe.
- Shiloh (Silo) présente des couches et structures qui attestent une activité cultuelle soutenue à l’âge du Bronze récent et au début de l’âge du Fer (poteries rituelles, dépôts osseux sacrificiels, « cornes » d’autel), cohérente avec les récits bibliques qui placent là le Tabernacle. Ces données n’impliquent pas qu’on y ait retrouvé l’Arche, mais confortent l’existence d’un sanctuaire central à l’époque des Juges. Tel Aviv UniversityAcademiabiblearchaeology.orgThe Times of Israel
- Kiriath-Jearim, à l’ouest de Jérusalem (Deir el-ʿAzar), a livré depuis 2017 les vestiges d’une plateforme monumentale de l’âge du Fer II, datée par OSL et céramique, interprétée comme l’infrastructure d’un sanctuaire majeur. Cette découverte corrobore la tradition qui place l’Arche à Kiriath-Jearim après Shiloh, sans démontrer qu’elle s’y trouvait effectivement. Fondation ShmunisServal+1
- Jérusalem / Mont du Temple : faute de fouilles autorisées sous l’esplanade, aucune preuve matérielle directe relative à l’Arche n’existe. La littérature (notamment 2 Maccabées 2 :4-8) alimente aussi l’hypothèse d’un dépôt au mont Nébo, qui relève à ce jour du domaine textuel, non vérifié archéologiquement. BYU ScholarsArchive
1) Shiloh : un centre cultuel ancien compatible avec le Tabernacle
1.1. Les grandes campagnes de fouilles
Shiloh (Tel Seilun) a été exploré par des équipes danoises (1926, 1929, 1932, puis 1963), puis par la mission dirigée par Israel Finkelstein (1981-1984), qui a publié un rapport final de référence (Shiloh. The Archaeology of a Biblical Site) et plusieurs rapports préliminaires. Ces travaux décrivent une occupation continue du Bronze moyen au Fer II, et insistent sur le caractère cultuel du site à l’aube de l’époque israélite. biblearchaeology.orgTel Aviv UniversityAcademia
1.2. Indices matériels d’un sanctuaire
Parmi les éléments souvent cités :
- Dépôts massifs d’ossements brûlés et vaisselle cultuelle (favissae), indiquant des pratiques sacrificielles à grande échelle au Bronze récent / Fer I. Academiabiblearchaeology.org
- Découvertes plus récentes évoquant des « cornes » d’autel en pierre et des concentrations d’objets rituels (interprétations prudentes : il s’agit d’indices d’activité cultuelle, pas de preuves directes du Tabernacle). The Times of Israel
1.3. Ce que disent (et ne disent pas) les données
Les fouilles confirment qu’à l’époque où les textes placent le Tabernacle à Shiloh (Josué, Juges, 1 Samuel), un sanctuaire majeur fonctionnait bien sur la colline : l’archéologie et la tradition convergent sur ce point. En revanche, aucun artefact identifiable comme provenant du Tabernacle (tentures, mobilier, etc.) ni aucune preuve de l’Arche n’ont été mis au jour. La prudence de Finkelstein à ce sujet est régulièrement rappelée dans la bibliographie. Tel Aviv University
2) Kiriath-Jearim : une plateforme monumentale de l’âge du Fer
2.1. Un site clef du récit de l’Arche
Après la chute de Shiloh (1 Samuel 4), l’Arche est dite déposée à Kiriath-Jearim (1 Samuel 7 :1), avant son transfert à Jérusalem par David (2 Samuel 6). Longtemps, on ne disposait que de cette tradition. Depuis 2017, une mission conjointe (Tel-Aviv University / Collège de France) dirigée par Israel Finkelstein et Thomas Römer a ouvert plusieurs secteurs sur le tell de Deir el-ʿAzar. Collège de France
2.2. Les résultats de 2017-2019
Les rapports préliminaires (Semitica 60, 2018 ; rapport 2019) décrivent :
- L’existence d’une plateforme surélevée soutenue par de massifs murs de terrasse en blocs cyclopéens, datée du Fer IIB-IIC (VIIIe-VIIe s. av. n. è.) par OSL et céramique.
- Des remaniements hellénistiques et romains ultérieurs.
L’interprétation principale : cette infrastructure a vraisemblablement porté un complexe cultuel d’envergure régionale. Fondation ShmunisServal
2.3. Conséquences pour l’histoire de l’Arche
Ces résultats n’établissent pas la présence de l’Arche à Kiriath-Jearim, mais ils renforcent l’idée que le site fut un haut lieu cultuel au cœur des traditions de l’« Arche Narrative ». Plusieurs travaux récents (Römer, Finkelstein) discutent l’hypothèse d’une mise en récit tardive et d’une mémoire sanctuariale réactivée à l’époque monarchique et/ou josianique. Les débats restent ouverts sur la chronologie exacte du transfert vers Jérusalem. repository.up.ac.zaServal
3) Jérusalem / Mont du Temple : un trou noir archéologique
La tradition place l’Arche dans le Temple de Salomon. Mais le Mont du Temple n’est pas fouillable : il n’existe donc aucune donnée matérielle contrôlée concernant l’Arche à Jérusalem. Les hypothèses se fondent sur les textes et sur des parallèles cultuels. À ce jour, l’archéologie ne peut ni confirmer ni infirmer la présence de l’Arche dans le Saint des Saints. Wikipédia
4) Le contre-point textuel : Shiloh, Kiriath-Jearim… et le mont Nébo
La destinée finale de l’Arche reste insaisissable. Le passage le plus souvent cité est 2 Maccabées 2 :4-8, qui attribue au prophète Jérémie l’enfouissement de l’Arche dans une grotte du mont Nébo (Transjordanie). C’est une tradition littéraire intertestamentaire : elle n’a jamais reçu de corroboration archéologique. BYU ScholarsArchive
5) Bilan critique : ce que l’archéologie permet d’affirmer
- Shiloh atteste archéologiquement l’existence d’un sanctuaire important à l’époque où la Bible situe le Tabernacle ; les indices matériels (dépôts osseux, vaisselle rituelle, éventuels éléments d’autel) sont cohérents avec un culte sacrificiel centralisé, sans livrer l’Arche. Tel Aviv UniversityAcademia+1
- Kiriath-Jearim présente la signature monumentale d’un sanctuaire de l’âge du Fer II (plateforme, murs de soutènement), ce qui conforte le statut cultuel du site dans la tradition de l’Arche, tout en laissant ouverte la question de la présence effective de l’Arche. Fondation ShmunisServal
- Jérusalem : l’absence de fouilles sous l’esplanade empêche toute vérification matérielle. Le dossier demeure textuel. Wikipédia
- Conclusion : il existe des traces archéologiques sérieuses de lieux de culte correspondant aux étapes bibliques (Shiloh, Kiriath-Jearim), mais aucune découverte physique de l’Arche elle-même ni d’un mobilier indiscutablement lié au Tabernacle.
Annexes : points de méthode et controverses
- Datations et terminologie : à Kiriath-Jearim, l’OSL (luminescence stimulée optiquement) et la céramologie ancrent la grande plateforme dans le Fer IIB-IIC. L’architecture (assises en très gros blocs) est typique d’une terrasse cultuelle/administrative, complétée de phases hellénistique et romaine. Fondation ShmunisServal
- Interprétations concurrentes : certains auteurs plaident pour une lecture essentiellement idéologique des traditions de l’Arche (construction littéraire tardive ; relecture josianique). D’autres voient à Kiriath-Jearim un sanctuaire de première grandeur qui a pu héberger l’Arche à un moment de son histoire. Le débat est ouvert et se joue désormais sur la finesse des datations et la lecture croisée texte/terrain. repository.up.ac.za
- Shiloh : prudence sur les « preuves » : la médiatisation récente de cornes d’autel ou d’aires sacrificielles ne change pas le diagnostic de fond : sanctuaire attesté, Arche non retrouvée. Les publications de synthèse et bibliographies restent la meilleure porte d’entrée pour mesurer la force (et les limites) des indices. The Times of Israelbiblearchaeology.org
Bibliographie et sources (sélection)
Shiloh
- Finkelstein, I., Bunimovitz, S., Lederman, Z. Shiloh. The Archaeology of a Biblical Site (rapport final). Tel-Aviv University (notice et accès). Tel Aviv University
- Finkelstein, I. « Excavations at Shiloh 1981–1984: Preliminary Report » (aperçu). Academia
- Bibliographie raisonnée et archives de fouille (Danois 1926-1932, 1963 ; synthèses). biblearchaeology.org
- Présentations grand public des découvertes récentes (à lire avec esprit critique). The Times of Israelpopular-archaeology.com
Kiriath-Jearim
- Finkelstein, I., Römer, T., Nicolle, C., et al. « Excavations at Kiriath-Jearim near Jerusalem, 2017: Preliminary Report », Semitica 60 (PDF). Fondation Shmunis
- Finkelstein, I., Römer, T., et al. « Excavations at Kiriath-jearim, 2019: Preliminary Report » (PDF). Serval
- Finkelstein, I. « Archaeological Excavations at Kiriath-Jearim and the Ark Narrative in the Books of Samuel » (synthèse, PDF). Serval
- Dossier institutionnel (Collège de France). Collège de France
Textes et mises au point sur l’Arche
- Römer, T. « The mysteries of the Ark of the Covenant », Studia Theologica (2023). repository.up.ac.zaTaylor & Francis Online
- Rappel du motif de 2 Maccabées 2 :4-8 (tradition du mont Nébo). BYU ScholarsArchive
Conclusion générale
L’archéologie valide l’existence de sanctuaires majeurs à Shiloh et Kiriath-Jearim au moment où la mémoire biblique situe le Tabernacle et le séjour provisoire de l’Arche. Elle n’apporte pas, à ce jour, de preuve matérielle de l’Arche elle-même. Le cœur de l’enquête se trouve désormais dans l’affinage des datations (OSL, céramique), la compréhension des programmes architecturaux (plateformes, terrasses), et le dialogue critique entre les récits (Ark Narrative) et les stratigraphies. Autrement dit : la piste archéologique éclaire le contexte, mais le mystère de l’objet demeure entier.