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Les pharaons damnés : quand l’Égypte effaçait ses propres rois

Par Nefer · 19 septembre 2025

Dans l’imaginaire collectif, les pharaons semblent éternels. Leurs monuments défient le temps, leurs noms gravés dans la pierre résonnent encore après des millénaires. Pourtant, certains souverains d’Égypte ancienne ont connu un sort bien plus sombre : celui de l’oubli organisé. L’équivalent égyptien de la damnatio memoriae romaine ne consistait pas seulement à effacer un nom ou briser une statue : c’était condamner une âme à disparaître pour l’éternité.

Effacer un nom, détruire une âme

Pour les anciens Égyptiens, le nom (le ren) était une part essentielle de l’être. Tant qu’il était prononcé, l’individu continuait de vivre dans l’au-delà. Supprimer ce nom, le marteler sur les parois des temples, c’était une arme redoutable : un assassinat posthume.

Les raisons de ces effacements étaient multiples — rivalités politiques, ruptures religieuses, ou volonté de réécrire l’histoire dynastique.

Hatchepsout, la reine devenue roi effacée par son successeur

Au XVe siècle av. J.-C., Hatchepsout osa franchir l’inacceptable : prendre tous les attributs du pharaon, barbe postiche et titulature royale comprises. Après sa mort, Thoutmosis III, le neveu qu’elle avait écarté du trône, fit méthodiquement marteler son nom et briser ses statues. Mais l’effacement n’était pas total : il intervint tardivement, comme si l’on avait voulu corriger une anomalie plutôt que nier totalement son règne.

Akhenaton, le pharaon hérétique

Un siècle plus tard, Amenhotep IV, devenu Akhenaton, bouleversa la religion égyptienne en imposant le culte exclusif du disque solaire Aton. Cette révolution fut insupportable pour le clergé d’Amon et les élites traditionnelles. Après sa mort, ses temples furent rasés, son nom rayé des listes royales, ses représentations martelées. À tel point que les générations suivantes l’appelèrent simplement « l’ennemi ».

Toutankhamon et les héritiers maudits de l’ère amarnienne

Ironie du sort, même le jeune Toutankhamon, pourtant restaurateur du culte d’Amon, fut emporté dans cette condamnation. Sa parenté avec Akhenaton le rendait suspect. Ses successeurs Ay et Horemheb minimisèrent son règne et firent disparaître son nom des annales. Le célèbre trésor retrouvé en 1922 n’est dû qu’à l’oubli momentané de sa tombe, dissimulée sous les gravats d’un autre chantier. Sans cela, sa mémoire aurait sombré avec son nom.

Taousert et Siptah, effacés par la nouvelle dynastie

À la fin du Nouvel Empire, la reine Taousert et le jeune pharaon Siptah furent à leur tour victimes de l’effacement. Sethnakht, fondateur de la XXe dynastie, ordonna leur damnation pour légitimer sa prise de pouvoir. Leurs cartouches furent martelés, leurs monuments récupérés.

La logique de l’oubli

À travers ces effacements, on distingue un fil rouge : l’histoire égyptienne se réécrit au gré des vainqueurs. La mémoire royale n’était pas figée, mais malléable. Chaque dynastie façonnait le passé selon ses besoins, effaçant les règnes jugés illégitimes, scandaleux ou dangereux.

Pour nous, modernes, ces tentatives de négation sont paradoxales : c’est justement parce qu’on a voulu détruire ces pharaons que leurs noms fascinent aujourd’hui. Hatchepsout, Akhenaton, Toutankhamon — tous sont devenus mythiques grâce à la violence de leur damnation.

La survie par-delà l’effacement

Malgré l’acharnement, la pierre a résisté. Des cartouches brisés laissent deviner des noms. Des statues ensevelies réapparaissent. Le silence voulu par les anciens n’a pas tenu face au temps. Ce qui devait être un oubli éternel est devenu un mystère redécouvert.

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