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Les meurtres sataniques de Fall River : réalité occulte ou panique morale ?

Par Nefer · 1 août 2025

Entre 1979 et 1980, la ville industrielle de Fall River, dans le Massachusetts, est devenue le théâtre d’une série de meurtres particulièrement violents, attribués à un prétendu culte satanique. Trois femmes, toutes jeunes, toutes impliquées dans la prostitution, sont retrouvées mortes dans des circonstances sordides. Très vite, les médias s’emparent de l’affaire. On parle de rituels occultes, de messes noires, de sacrifices humains. Mais derrière le vernis de l’horreur, que s’est-il réellement passé à Fall River ? Crime organisé, délire satanique ou manipulation judiciaire ? L’affaire reste aujourd’hui l’un des cas les plus controversés de l’histoire criminelle américaine.

Une série de meurtres glaçants

Le 13 octobre 1979, le corps de Doreen Levesque, une adolescente de 17 ans, est découvert sous les gradins d’un lycée abandonné. Les poignets liés, le crâne fracassé, elle a été tuée avec une brutalité extrême. La scène évoque un meurtre rituel. Les premiers enquêteurs parlent rapidement de « mise en scène satanique ».

Quelques semaines plus tard, une autre jeune femme, Barbara Raposa, 19 ans, disparaît. Elle sera retrouvée en janvier 1980, dans un terrain isolé, également ligotée et frappée à mort.

Mais c’est la disparition de Karen Marsden, 20 ans, au début de l’année 1980, qui va faire basculer l’affaire dans le mythe. Son corps n’a jamais été entièrement retrouvé. Seule une partie de son crâne est découverte dans les bois. L’horreur est telle que les rumeurs prennent une ampleur démesurée. On parle de décapitation rituelle, de sacrifice au diable. La presse relaye les témoignages les plus effrayants, et la population commence à croire à l’existence d’un véritable culte satanique opérant dans les bas-fonds de Fall River.

Carl Drew et Robin Murphy : le duo infernal

L’enquête finit par désigner un suspect principal : Carl Drew, proxénète bien connu de la police locale. Âgé d’une vingtaine d’années, il est rapidement dépeint comme un manipulateur violent, maître d’une secte qui utiliserait la terreur pour contrôler les prostituées. À ses côtés, Robin Murphy, 17 ans, elle-même prostituée et impliquée dans les réseaux souterrains de la ville, devient le témoin-clé de l’accusation.

Murphy affirme que Drew l’a forcée, elle et d’autres jeunes femmes, à participer à des cérémonies sanglantes dans les bois. Des rituels censés invoquer Satan. Elle décrit des orgies, des sacrifices d’animaux, des messes inversées, et surtout, le meurtre de Karen Marsden, présenté comme un sacrifice humain.

Sur la base de ces témoignages, Carl Drew est condamné à la prison à perpétuité en 1981. Robin Murphy, elle, négocie une réduction de peine en échange de sa coopération. Elle sera libérée plusieurs années plus tard, avant d’être réincarcérée pour violation de sa libération conditionnelle.

Révisions de témoignages et doutes persistants

Mais le temps passe. Et avec lui viennent les révisions. Des décennies après les faits, Robin Murphy revient sur ses déclarations. Elle affirme avoir menti. Elle aurait été poussée à accuser Carl Drew sous la pression des autorités et dans l’espoir d’alléger sa propre peine. Ses nouvelles révélations sèment le trouble. Aucune preuve matérielle ne lie directement Carl Drew aux meurtres. Tout repose sur les témoignages, souvent contradictoires, de jeunes gens pris dans un environnement violent et désespéré.

D’anciens enquêteurs, comme Paul Carey, expriment leurs doutes. Certains affirment que l’affaire a été menée à charge, dans un climat de panique morale où le mot « satanisme » suffisait à faire taire les interrogations. En réalité, aucun symbole occulte, aucun élément tangible n’a jamais confirmé l’existence d’un culte. Il s’agissait peut-être tout simplement d’un tissu de mensonges, d’exagérations, et d’interprétations alimentées par la peur et les médias.

Le spectre du Satanic Panic

Il faut replacer cette affaire dans son contexte. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, les États-Unis sont plongés dans une vague de « Satanic Panic ». Partout, des parents, des policiers, des pasteurs croient voir des cultes sataniques derrière les moindres comportements déviants. Des milliers d’affaires judiciaires aux fondements douteux voient le jour, souvent sur la base de témoignages manipulés ou suggérés.

Dans ce climat de suspicion permanente, l’affaire de Fall River devient un symbole. On y voit la preuve que le Mal s’infiltre dans les failles sociales : la pauvreté, la prostitution, la drogue. Mais derrière ce récit, certains y voient surtout un profond désespoir social et une justice aveugle, prête à sacrifier un homme sur l’autel de la peur collective.

Une affaire encore ouverte ?

En 2021, la série documentaire « Fall River », produite par Blumhouse, relance l’intérêt pour l’affaire. À travers des témoignages inédits et des documents d’archives, elle interroge les incohérences du procès, les silences de la police, et la fragilité des preuves.

Carl Drew clame toujours son innocence. Ses avocats demandent la réouverture du dossier, soutenus par plusieurs associations militant contre les erreurs judiciaires. Robin Murphy, de son côté, reste un personnage ambivalent, tiraillée entre culpabilité et manipulation.

Conclusion

Les meurtres de Fall River sont-ils le fait d’un culte satanique souterrain, ou d’un enchaînement tragique de violences et de malentendus ? La vérité demeure insaisissable, flottant entre les faits, les fantasmes et les mensonges. Ce qui est certain, c’est que cette affaire révèle les mécanismes d’une société prompte à diaboliser l’Autre, et les dangers d’une justice trop hâtive.

Une leçon amère pour ceux qui, comme nous, scrutent les marges de l’inexpliqué, toujours à la frontière du réel et de l’imaginaire.

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