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L’Affaire de Madeleine Bavent : Les Possessions de Louviers (1642-1647)

Par Nefer · 3 décembre 2025

En 1642, le couvent des Ursulines de Louviers, en Normandie, devient le théâtre d’une possession collective qui marque l’histoire de la démonologie française. Centrée sur sœur Madeleine Bavent, 18 ans, cette affaire ressemble aux scandales d’Aix-en-Provence (1611) et de Loudun (1634), mais se distingue par ses accusations de sorcellerie et de pactes diaboliques impliquant des prêtres. Documentée par des procès-verbaux détaillés et des témoignages sous serment, elle illustre les tensions entre foi, répression sexuelle et hystérie collective au XVIIe siècle.

Le Contexte : Un Couvent au Bord du Chaos

Louviers, petite ville normande, abrite le couvent des Ursulines, fondé en 1624 pour l’éducation des jeunes filles. Madeleine Bavent, orpheline née en 1607 à Rouen, y entre à 16 ans comme novice. Apprentie lingère à 12 ans, elle aurait été victime d’abus par un confesseur (selon l’historien Jules Michelet), ce qui pourrait expliquer ses vulnérabilités psychologiques. En 1625, elle devient sœur, mais des tensions émergent : le directeur du couvent, Mathurin Picard (décédé en 1641), et le vicaire Thomas Boulé, sont accusés de la « bewitcher ».

Les symptômes commencent en 1642 : convulsions, visions, blasphèmes, et comportements érotiques publics. Madeleine est la première touchée, déclarant être ensorcelée par Picard et Boulé, qui l’auraient emmenée à un sabbat des sorcières pour la « marier » au démon Dagon.

Les Manifestations : Possession et Accusations Diaboliques

Madeleine Bavent décrit des visites nocturnes de démons, dont un chat noir aux yeux de feu (incarnation de Satan) qui la « poursuit avec amorous advances ». Les nonnes, au nombre de 18, exhibent des symptômes classiques de possession :

  • Contorsions corporelles et force surnaturelle.
  • Parler en langues (latin, provençal).
  • Blasphèmes et insultes obscènes.
  • Lévitations et mouvements impossibles (un bras fixe pendant que le corps tourne).
  • Marque de possession : une « main du diable » tatouée sur la peau.

Madeleine accuse Picard et Boulé d’avoir conduit des messes noires à minuit, impliquant des orgies avec des nonnes et des démons. Elle confesse avoir été violée par le diable sous forme de chat, et d’avoir participé à des sabbats où des hommes étaient crucifiés et éviscérés. Les nonnes, influencées, montrent des symptômes contagieux : 6 600 démons nommés (selon une estimation exagérée), dont Verin (qui prédit l’apocalypse) et Ancitif (qui possède sœur Barbara de St. Michael).

Les exorcismes publics, dirigés par des prêtres comme Pierre Rangier, deviennent des spectacles : les nonnes hurlent, se tordent, se touchent mutuellement, blasphèment et confirment les accusations. Madeleine, interrogée, avoue des pactes diaboliques et des relations sexuelles avec des entités infernales.

Le Procès et les Condamnations

L’enquête, menée par le Parlement de Rouen, dure de 1642 à 1647. Madeleine Bavent est interrogée 50 fois, sous torture légère (menaces, isolement). Elle maintient ses confessions, accusant Boulé d’avoir profané l’Eucharistie et d’avoir invoqué des démons pour des actes sexuels.

En 1647, le jugement tombe :

  • Madeleine Bavent : emprisonnée à vie dans un cachot d’église.
  • Père Thomas Boulé : brûlé vif à Rouen.
  • Le cadavre de Mathurin Picard : exhumé et brûlé.

Les nonnes sont exorcismées et dispersées. Madeleine meurt en 1650, « consumée par le démon », selon les rapports.

Interprétations Historiques

  1. Lecture Démonologique (XVIIe siècle) : Les exorcistes y voient une possession réelle, avec 6 600 démons nommés. Le cas est cité dans Histoire de Magdelaine Bavent, Religieuse de Louviers (1652), un pamphlet détaillé.
  2. Lecture Moderne : Hystérie collective dans un couvent répressif. Jules Michelet (La Sorcière, 1862) y voit des abus sexuels par des prêtres projetés sur des démons. Michel de Certeau (La Possession de Loudun, 1970) analyse le rôle de la suggestion et de la culture populaire provençale (Madeleine invoque des « mascs », esprits locaux).

Le cas influence la littérature : Joris-Karl Huysmans (Là-bas, 1891) et King Diamond (The Eye, 1990) s’en inspirent.

Sources Principales

  • Histoire de Magdelaine Bavent (1652, Rouen).
  • Jules Michelet, La Sorcière (1862).
  • Michel de Certeau, La Possession de Loudun (1970).
  • Archives du Parlement de Rouen (procès-verbaux 1647).
  • Nicola Cusumano, Demoni e possessioni nel Seicento napoletano (2008).

L’affaire de Louviers reste un exemple fascinant de possession collective, mêlant foi, répression et folie au XVIIe siècle.

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