Les rois maudits sont les souverains de la dynastie capétienne qui ont régné sur la France de 1314 à 1328, après la mort de Philippe IV le Bel. Selon la légende, ils auraient été victimes d’une malédiction lancée par le dernier grand maître de l’ordre du Temple, Jacques de Molay, qui fut brûlé vif sur ordre du roi en 1314. Quelle est l’origine de cette histoire ? Quels sont les faits qui la soutiennent ? Quelle est la part de vérité et de fiction dans ce phénomène historique ? Cet article tente de faire le point sur cette énigme médiévale.


L’origine de la légende : l’affaire des templiers, un procès politique et financier

L’ordre du Temple était un ordre religieux et militaire fondé en 1119, lors de la première croisade, pour protéger les pèlerins en Terre sainte. Il devint rapidement un ordre puissant et riche, qui possédait des terres, des châteaux, des commanderies et des banques dans toute l’Europe. Il jouissait d’une grande autonomie, ne dépendant que du pape, et bénéficiait de nombreux privilèges, comme l’exemption d’impôts. Il comptait environ 15 000 membres, dont 2 000 chevaliers, qui portaient une tunique blanche ornée d’une croix rouge.

Philippe IV le Bel, roi de France de 1285 à 1314, était un monarque autoritaire et ambitieux, qui cherchait à renforcer son pouvoir et à remplir ses caisses. Il mena plusieurs guerres contre l’Angleterre et la Flandre, qui lui coûtèrent cher. Il s’attaqua aussi à l’Église, en entrant en conflit avec le pape Boniface VIII, qu’il fit arrêter et mourir en 1303, puis en imposant son candidat, le Français Clément V, comme nouveau pape en 1305. Il s’en prit également aux juifs et aux Lombards, qu’il expulsa et dont il confisqua les biens.
En 1307, il décida de s’emparer de l’ordre du Temple, qui représentait une source de richesse et de pouvoir potentiellement dangereuse pour lui. Il fit arrêter le grand maître, Jacques de Molay, et tous les templiers présents en France, soit environ 2 000 personnes. Il les accusa de crimes abominables, comme l’idolâtrie, l’hérésie, la sodomie, le reniement du Christ, la profanation de la croix, etc. Il les fit torturer pour leur arracher des aveux, qu’il envoya au pape Clément V, qui était son allié. Le pape, qui était réticent à condamner l’ordre, ordonna une enquête, mais il fut débordé par le roi, qui organisa des procès publics et spectaculaires, où les templiers furent condamnés à mort. Le 18 mars 1314, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay, le précepteur de Normandie, furent brûlés vifs sur un bûcher, sur l’île de la Cité, à Paris.

Selon la légende, avant de mourir, Jacques de Molay aurait lancé une malédiction contre le roi, le pape et leurs descendants : « Pape Clément, chevalier Guillaume de Nogaret, roi Philippe, avant un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits, maudits, tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! » Cette malédiction aurait été rapportée par un chroniqueur italien, Paolo Emilio, qui l’aurait entendue d’un témoin oculaire.

Les faits qui soutiennent la légende : les rois maudits, une succession de morts prématurées et de crises dynastiques

La légende des rois maudits repose sur le fait que, après la mort de Philippe le Bel, ses successeurs connurent des règnes courts et malheureux, et que sa lignée directe s’éteignit en 1328, ouvrant la voie à la guerre de Cent Ans. Voici les faits qui illustrent cette malédiction :

  • Louis X le Hutin, fils aîné de Philippe le Bel, régna de 1314 à 1316. Il fut un roi faible et impopulaire, qui dut faire face à des révoltes de ses barons et à des scandales de sa cour. Il mourut à 26 ans, d’une pneumonie ou d’un empoisonnement, laissant une fille, Jeanne, née de son premier mariage avec Marguerite de Bourgogne, qu’il avait fait enfermer pour adultère, et une femme enceinte, Clémence de Hongrie, qu’il avait épousée en secondes noces.
  • Jean Ier le Posthume, fils posthume de Louis X, régna de 1316 à 1316. Il naquit cinq mois après la mort de son père, mais il ne vécut que cinq jours. Il fut le premier et le seul roi de France à mourir sans avoir été couronné. Sa mort ouvrit une crise de succession, car sa demi-sœur, Jeanne, fut écartée du trône par les barons, qui invoquèrent la loi salique, qui interdisait aux femmes de régner. Le trône revint alors au frère de Louis X, Philippe.
  • Philippe V le Long, frère cadet de Louis X, régna de 1316 à 1322. Il fut un roi habile et autoritaire, qui renforça l’administration royale et la législation. Il dut cependant faire face à des conflits avec l’Église, avec l’Angleterre, et avec la Flandre, qui se révolta contre son autorité. Il mourut à 29 ans, d’une dysenterie ou d’un empoisonnement, laissant quatre filles, mais pas de fils.
  • Charles IV le Bel, frère cadet de Philippe V, régna de 1322 à 1328. Il fut un roi effacé et sans envergure, qui se contenta de suivre la politique de ses prédécesseurs. Il dut affronter des difficultés financières, des troubles sociaux, et des tensions avec l’Angleterre, qui revendiquait la Guyenne. Il mourut à 33 ans, d’une apoplexie ou d’un empoisonnement, laissant une fille, Marie, née de son premier mariage avec Blanche de Bourgogne, qu’il avait fait enfermer pour adultère, et une femme enceinte, Jeanne d’Évreux, qu’il avait épousée en troisièmes noces.

Avec la mort de Charles IV, la lignée directe des Capétiens s’éteignit. Sa femme accoucha d’une fille, Blanche, qui fut écartée du trône comme sa cousine Jeanne. Le trône revint alors à un cousin éloigné, Philippe de Valois, fils de Charles de Valois, frère de Philippe le Bel. Mais ce choix fut contesté par un autre prétendant, Édouard III d’Angleterre, petit-fils de Philippe le Bel par sa mère, Isabelle de France. Ce conflit dynastique déclencha la guerre de Cent Ans, qui opposa la France et l’Angleterre pendant plus d’un siècle.


La part de vérité et de fiction : une légende historique entretenue par la littérature et le cinéma

La légende des rois maudits est-elle fondée sur des faits réels, ou n’est-ce qu’une invention romanesque ? Difficile de trancher, tant les sources sont rares et contradictoires. La malédiction de Jacques de Molay est-elle authentique, ou n’est-ce qu’un ajout postérieur ? Les morts des rois sont-elles naturelles, ou sont-elles le fruit de complots ? Les rois sont-ils vraiment maudits, ou sont-ils victimes du hasard ? Autant de questions qui restent sans réponse, et qui alimentent le mystère.

Ce qui est certain, c’est que la légende des rois maudits a été relayée et amplifiée par la littérature et le cinéma, qui ont donné une dimension romanesque et dramatique à cette histoire. Le plus célèbre exemple est la série de romans historiques de Maurice Druon, Les Rois maudits, publiée entre 1955 et 1977, qui retrace la vie et la mort des souverains capétiens et de leurs proches, en mêlant faits réels et fiction. Cette série a connu un grand succès, et a été adaptée à la télévision à deux reprises, en 1972 et en 2005. Elle a également inspiré d’autres œuvres, comme la saga Le Trône de fer, de George R.R. Martin, qui reprend certains éléments des rois maudits, comme la malédiction, la guerre de succession, ou les intrigues de cour.

Les rois maudits sont donc une légende historique, qui mêle histoire, politique, religion, justice, finance, amour, trahison, meurtre, et qui reflète les passions, les ambitions, les rivalités, les conflits, les alliances, les complots, les secrets, les révélations, de ceux qui ont fait et défait la France du Moyen Âge. Une légende qui, comme toutes les légendes, révèle quelque chose de l’âme humaine.