Perché à plus de 5 000 mètres d’altitude, dans les contreforts de l’Himalaya indien, le lac Roopkund est l’un des lieux les plus dérangeants et fascinants du monde. Surnommé le “Lac aux Squelettes”, il renferme, sous ses eaux glacées et sur ses rives, les restes de centaines d’êtres humains morts dans des circonstances longtemps inexpliquées.
Pendant des décennies, ce site isolé a nourri hypothèses scientifiques, récits folkloriques et spéculations plus sombres. Accident collectif, massacre, punition divine ou catastrophe naturelle oubliée ? L’histoire de Roopkund est celle d’un mystère lentement déchiffré… sans jamais être totalement vidé de son malaise.
Un lac découvert par hasard
Le lac Roopkund est situé dans l’actuel État de l’Uttarakhand, au cœur d’une région montagneuse hostile, inaccessible plusieurs mois par an. Il ne mesure qu’une quarantaine de mètres de diamètre et reste gelé la majeure partie de l’année.
En 1942, alors que l’Inde est encore sous administration britannique, un garde forestier signale une découverte troublante :
des ossements humains jonchent les rives du lac et sont visibles sous la glace.
Le contexte de la Seconde Guerre mondiale inquiète immédiatement les autorités coloniales. Une hypothèse rapide émerge : s’agirait-il de soldats japonais morts lors d’une tentative d’infiltration par l’Himalaya ? L’enquête militaire balaie rapidement cette piste. Les corps sont bien trop anciens.
Le mystère ne fait alors que commencer.

Une accumulation de morts inexplicable
À la fonte des glaces estivales, le spectacle devient saisissant :
- crânes aux orbites vides,
- os longs parfaitement conservés,
- restes de vêtements, de sandales en cuir,
- bijoux rudimentaires et objets du quotidien.
Les premières estimations évoquent plus de 200 squelettes, hommes, femmes et enfants confondus. L’état de conservation exceptionnel est dû au froid extrême et à l’altitude.
Un détail frappe immédiatement les chercheurs :
👉 de nombreux crânes présentent des fractures nettes, concentrées sur le sommet du crâne, comme si les victimes avaient été frappées par le haut.
Les premières hypothèses : guerre, épidémie ou rituel ?
Avant l’ère des analyses modernes, plusieurs théories s’affrontent :
1. Une armée décimée
Hypothèse séduisante mais fragile : aucune arme, aucune trace de combat organisé, aucun équipement militaire identifiable.
2. Une épidémie fulgurante
Le choléra ou une autre maladie auraient pu décimer un groupe de voyageurs. Mais cela n’explique pas les traumatismes crâniens localisés.
3. Un rituel sacrificiel
Certains chercheurs évoquent un pèlerinage ayant mal tourné, voire un sacrifice collectif. Là encore, aucun élément rituel clair n’est identifié.
Pendant des décennies, Roopkund reste une énigme figée dans la glace.
La légende locale : la colère de la déesse
Les populations locales, elles, n’ont jamais douté de l’origine du drame.
Selon une ancienne légende himalayenne, un roi accompagné de sa cour, incluant femmes et danseuses, aurait entrepris un pèlerinage sacré vers un sanctuaire de haute montagne. Leur comportement jugé impie aurait provoqué la colère de la déesse Nanda Devi.
La punition aurait pris la forme d’une pluie de grêlons “durs comme le fer”, s’abattant sur le groupe jusqu’à l’anéantir entièrement.
Longtemps considérée comme un mythe explicatif, cette légende va pourtant trouver un écho troublant dans la science moderne.
Les analyses scientifiques : une vérité fragmentée
À partir des années 2000, des équipes internationales procèdent à des analyses ADN, isotopiques et radiocarbone.
Une révélation majeure
Les squelettes ne datent pas tous de la même époque.
Les études révèlent au moins trois groupes distincts :
- un groupe datant du IXᵉ siècle,
- un autre du XIXᵉ siècle,
- et un plus petit groupe intermédiaire.
👉 Roopkund n’est donc pas le théâtre d’un seul drame, mais de plusieurs tragédies survenues à des siècles d’intervalle.
La cause de la mort : une grêle mortelle
Les fractures crâniennes, longtemps incomprises, trouvent enfin une explication crédible.
Les lésions observées sont :
- circulaires,
- concentrées sur le sommet du crâne,
- absentes sur le reste du corps.
Ce type de blessure correspond parfaitement à un phénomène rare mais documenté :
👉 une tempête de grêle de très gros grêlons, pouvant atteindre plusieurs centimètres de diamètre, survenant à haute altitude.
Sans abri, sur un terrain dégagé, les victimes auraient été frappées à mort par le ciel lui-même.
La légende locale, transmise oralement pendant plus de mille ans, décrivait donc avec une précision glaçante un événement météorologique extrême bien réel.
Un lieu désormais menacé
Ironie tragique : ce site préservé par l’isolement est aujourd’hui victime de sa notoriété.
Les expéditions touristiques ont entraîné :
- le déplacement de restes humains,
- la disparition de certains ossements,
- une dégradation irréversible du site.
Les autorités indiennes tentent désormais de limiter l’accès et de protéger ce cimetière naturel unique.
Roopkund : un rappel brutal de notre fragilité
Le Lac aux Squelettes n’est ni une malédiction surnaturelle, ni un simple accident isolé. Il est le témoignage brut de la vulnérabilité humaine face à la nature, dans ce qu’elle a de plus indifférent et implacable.
Mais il rappelle aussi une chose essentielle :
certaines légendes ne sont pas des fables…
ce sont parfois des souvenirs déformés d’événements trop violents pour être oubliés.
À Roopkund, la montagne n’a pas seulement conservé des os.
Elle a conservé une mémoire.
