« Ils viennent la nuit, dans le silence du sommeil. Parfois pour séduire. Parfois pour posséder. Toujours pour s’abreuver. »
Il existe, dans les recoins les plus obscurs des traditions religieuses, ésotériques et folkloriques, des récits troublants d’entités qui prennent forme la nuit pour se livrer à des rapports sexuels avec des humains. Ces créatures, connues sous les noms de succubes (formes féminines) et incubes (formes masculines), défient notre compréhension de la réalité. Apparitions ? Hallucinations ? Dérèglements neurologiques ? Ou véritables entités venues d’un autre plan de conscience ?
Ces récits, souvent relégués au rang de fantasmes ou de pathologies, s’inscrivent pourtant dans une histoire longue, documentée, persistante. Ils soulèvent une question dérangeante : et si certaines visites nocturnes ne relevaient pas uniquement du rêve ?
Des origines médiévales… et bien plus anciennes
Le terme succube provient du latin succubare, « se coucher dessous », tandis qu’incube vient de incubare, « se coucher dessus ». Ces appellations renvoient à une perception médiévale du démon sexuel, souvent associé aux péchés de la chair. Dès le Malleus Maleficarum (1487), manuel inquisitorial de lutte contre la sorcellerie, les succubes sont décrites comme des tentatrices démoniaques qui collectent la semence des hommes pour la livrer aux incubes.
Mais l’histoire de ces entités remonte à bien avant le Moyen Âge. Dans la mythologie mésopotamienne, Lilitu (ancêtre de Lilith) est une créature féminine liée à la sexualité incontrôlable et à la prédation nocturne. Lilith, dans certaines versions de la mystique juive, est la première femme d’Adam, rejetée pour avoir refusé de se soumettre, et devenue démone errante, séduisant les hommes dans leur sommeil.
Dans le folklore arabe, on trouve également les jinns qui peuvent entretenir des rapports charnels avec les humains. Certaines traditions évoquent des mariages surnaturels avec ces êtres invisibles. La notion d’un lien sexuel interdimensionnel, choisi ou subi, traverse donc les civilisations.
Symptômes, récits et témoignages : une trame récurrente
De nombreux récits modernes partagent des motifs frappants de ressemblance, indépendamment des cultures ou des croyances religieuses. On peut y identifier un schéma-type :
- La victime est endormie, souvent dans un état de semi-conscience.
- Elle ressent une présence dans la chambre, souvent accompagnée d’une sensation d’oppression, voire de paralysie (similaire à la paralysie du sommeil).
- L’entité prend parfois forme humaine, séduisante ou inquiétante, mais souvent floue, changeante, ou voilée dans l’ombre.
- Des attouchements, pénétrations, orgasmes, parfois extrêmement intenses, sont décrits comme réels, avec sensation physique.
- Le lendemain, la victime se réveille confuse, bouleversée, parfois épuisée ou avec des marques physiques (bleus, griffures, traces).
Certains décrivent l’expérience comme jouissive mais traumatique, d’autres parlent de viol nocturne sans explication rationnelle. Dans les deux cas, ces épisodes s’inscrivent dans la mémoire avec une vivacité difficile à évacuer.
Hypothèses psychologiques et neurologiques
Les chercheurs en psychologie clinique et psychiatrie ont tenté d’expliquer ces phénomènes à travers différents prismes :
- Paralysie du sommeil : état de conscience partielle où le cerveau est éveillé mais le corps est encore paralysé, souvent accompagné d’hallucinations hypnagogiques (visuelles, tactiles, auditives).
- Dérèglement du système limbique, qui régule les émotions et le désir sexuel.
- Stress post-traumatique ou répression de traumatismes sexuels.
- Syndromes dissociatifs, où le subconscient projette des désirs ou peurs inavoués sous forme d’ »autres ».
Ces explications ne manquent pas de pertinence, mais elles n’épuisent pas le sujet. Notamment lorsque plusieurs témoins décrivent le même type d’entité ou que les manifestations laissent des traces physiques. Ou pire encore : lorsqu’elles reviennent nuit après nuit.
Enquêtes et cas contemporains
Certains cas ont défrayé la chronique :
- Doris Bither, aux États-Unis dans les années 1970, prétendait avoir été violée à de multiples reprises par trois entités invisibles. Son histoire a inspiré le film L’Emprise (The Entity, 1982). Des enquêteurs ont relevé à l’époque des anomalies électromagnétiques et des phénomènes de poltergeist.
- En Afrique de l’Ouest, les « mariages mystiques » sont encore pris très au sérieux. Des femmes affirment avoir été choisies par des esprits des eaux ou des entités nocturnes, les empêchant d’avoir des relations avec des hommes humains sous peine de représailles.
- En France, certains médiums ou praticiens de l’occultisme rapportent des cas de « liens d’attachement sexuel astral », entretenus par des entités qui « s’abreuvent » de l’énergie vitale à travers l’acte charnel.
Et si ce n’étaient pas que des symboles ?
Une autre approche, ésotérique voire chamanique, considère que ces entités existent sur un plan subtil, mais réel. Selon cette vision :
- Les succubes et incubes ne sont pas des hallucinations, mais des êtres astraux.
- Ils se nourrissent de l’énergie sexuelle humaine, considérée comme l’une des plus puissantes.
- Le désir, qu’il soit refoulé ou exacerbé, ouvre des portes, volontairement ou non, vers ces entités.
- Certains rituels de magie sexuelle (notamment dans le tantrisme noir ou la goétie) peuvent invoquer volontairement des entités sexuelles pour pactiser avec elles ou obtenir des pouvoirs.
Un tabou persistant… et une fascination latente
Le plus troublant dans ces récits, c’est qu’ils persistent, malgré la modernité, malgré la rationalisation du monde. Ils s’expriment dans la solitude, dans le non-dit, dans les rêves que l’on tait par peur d’être jugé. Pourtant, des forums entiers, des groupes privés, des témoignages sous pseudonyme, montrent que le phénomène est loin d’avoir disparu.
Et si ces entités sexuelles étaient les reliquats d’un savoir oublié, d’une interface entre les plans, d’un contact interdit ? Ou bien sont-elles les projections de notre libido, nos désirs inavouables prenant chair dans l’ombre de notre inconscient ?
En conclusion : visiter l’interdit
L’histoire des succubes et incubes n’est pas seulement une légende médiévale. C’est une faille dans la rationalité. Un rappel que le corps, le désir, le rêve, l’obscur, peuvent encore se croiser au détour de la nuit.
Le paranormal n’est jamais aussi dérangeant que lorsqu’il touche à l’intime. Et ces visites nocturnes, qu’on les juge imaginaires ou bien réelles, disent quelque chose de profond : nous ne sommes peut-être pas seuls entre nos draps.