Dans les années 1970, un fait divers étrange a défrayé la chronique au Japon : l’apparition d’une créature mystérieuse dans les forêts brumeuses du mont Hiba, dans la préfecture de Hiroshima. Cette créature, baptisée Hibagon par les médias, ressemblait à un grand singe bipède, doté d’une face simiesque et parfois de yeux phosphorescents. Certains témoins l’ont comparée à un gorille, mais aucun représentant de cette espèce n’a jamais vécu à l’état sauvage au Japon. D’autres l’ont assimilée à un yéti, le légendaire homme des neiges de l’Himalaya. Mais qu’était donc le Hibagon ? Une simple illusion, une supercherie, ou une découverte zoologique majeure ?
Pour tenter de répondre à cette question, nous avons rencontré Grégory Beaussart, un anthropologue français qui s’est passionné pour cette affaire. Auteur du livre L’affaire Hibagon : sur la trace du yéti japonais1, il nous raconte comment il a mené son enquête sur le terrain, en recueillant les témoignages des habitants, en explorant les lieux où le Hibagon a été aperçu, et en analysant les indices matériels laissés par la bête.
“De nos jours, rares sont ceux qui, même au Japon, ont entendu parler de l’affaire Hibagon. Il s’agit principalement de personnes âgées, et beaucoup de ceux qui y ont pris part ne sont désormais plus de ce monde. Pourtant, ce fait divers impliquant une mystérieuse créature a pris une ampleur nationale dans l’archipel en 1970, bien avant ma naissance, avant le début de ma carrière d’ethnologue et avant même que je ne foule les terres nipponnes pour la première fois”, nous confie Grégory Beaussart.
C’est en 2018, lors d’un séjour universitaire à Niigata, qu’il découvre l’existence du Hibagon, en tombant par hasard sur un article de presse relatant les faits. Intrigué, il décide de se rendre sur place, dans le village de Saijo, où le Hibagon a été vu pour la première fois en juillet 1970, par un groupe de jeunes qui faisaient du camping. Il y rencontre M. Sato, l’un des témoins de l’époque, qui lui raconte sa mésaventure.
“Nous étions en train de faire du feu, quand nous avons entendu un bruit étrange, comme un grognement. Nous avons levé les yeux, et nous avons vu une silhouette sombre se détacher sur le ciel étoilé. C’était un animal énorme, qui marchait sur deux pattes, comme un homme. Il avait une tête ronde, avec des poils noirs et des yeux brillants. Il nous a regardés pendant quelques secondes, puis il a disparu dans la forêt. Nous étions terrifiés, nous avons pris nos affaires et nous avons couru vers le village”, se souvient M. Sato.
Ce témoignage n’est pas le seul. Entre 1970 et 1982, une quarantaine de personnes ont affirmé avoir vu le Hibagon, dans les environs du mont Hiba, mais aussi dans d’autres régions du Japon, comme le mont Akagi ou le mont Asama. Certains ont même réussi à prendre des photos ou des vidéos de la créature, mais la qualité des images est trop médiocre pour permettre une identification formelle. Le Hibagon a également laissé des traces de son passage, comme des empreintes de pas, des poils, des excréments ou des restes de nourriture. Ces éléments ont été collectés et analysés par des scientifiques, mais les résultats sont contradictoires ou non concluants.
Grégory Beaussart a pu consulter ces documents, ainsi que les archives de la police, des médias et des associations locales qui se sont intéressées au Hibagon. Il a également rencontré des experts en primatologie, en cryptozoologie et en folklore, pour essayer de comprendre la nature et l’origine du Hibagon. Selon lui, plusieurs hypothèses sont possibles.
“La première hypothèse, la plus sceptique, est que le Hibagon n’existe pas, et qu’il s’agit d’une illusion collective, alimentée par la peur, l’imagination ou la suggestion. Dans ce cas, les témoins auraient confondu le Hibagon avec un autre animal, comme un ours, un sanglier ou un macaque, ou avec un objet inanimé, comme un rocher, un arbre ou un tas de feuilles. Les indices matériels seraient alors des faux, fabriqués ou manipulés par des plaisantins, des escrocs ou des journalistes en mal de sensationnel”, explique Grégory Beaussart.
“La deuxième hypothèse, la plus fantastique, est que le Hibagon existe, et qu’il s’agit d’une espèce inconnue de la science, qui aurait évolué en isolement dans les forêts japonaises. Dans ce cas, le Hibagon serait un cousin éloigné du yéti, du bigfoot ou du sasquatch, ces autres hominidés cryptides qui hantent les légendes du monde entier. Le Hibagon serait alors un vestige vivant d’une branche disparue de l’évolution humaine, comme l’homme de Néandertal ou l’homme de Florès”, poursuit-il.
“La troisième hypothèse, la plus plausible selon moi, est que le Hibagon existe, mais qu’il s’agit d’une espèce connue de la science, qui aurait été introduite accidentellement ou volontairement au Japon. Dans ce cas, le Hibagon serait un primate exotique, comme un orang-outan, un chimpanzé ou un gorille, qui se serait échappé d’un zoo, d’un cirque ou d’un laboratoire, ou qui aurait été relâché par un propriétaire indélicat. Le Hibagon aurait alors réussi à survivre et à se reproduire dans les forêts japonaises, en s’adaptant à l’environnement et en évitant les contacts avec les humains”, conclut-il.
Quelle que soit la vérité sur le Hibagon, Grégory Beaussart estime que cette affaire mérite d’être étudiée sérieusement, car elle révèle beaucoup de choses sur la relation entre l’homme et la nature, entre la science et le mythe, entre le réel et l’imaginaire. Il espère que son livre contribuera à relancer l’intérêt pour le Hibagon, et à encourager de nouvelles recherches sur cette énigme zoologique.
“Le Hibagon est un symbole de la diversité et de la richesse du vivant, mais aussi de sa fragilité et de sa vulnérabilité. Il nous invite à nous interroger sur notre place dans le monde, et sur notre responsabilité envers les autres espèces. Il nous rappelle que la nature est pleine de surprises, et que la science n’a pas encore tout expliqué. Il nous inspire à rêver, à explorer, et à respecter le mystère de la vie”, nous dit-il.