L’affaire du « Fils de Sam » (Son of Sam) demeure l’une des plus célèbres et énigmatiques de l’histoire criminelle américaine, marquée par une série de meurtres violents, un jeu d’esprit déroutant avec les forces de l’ordre, et des allusions troublantes à des influences surnaturelles. Cette histoire plonge au cœur de la psyché tourmentée d’un tueur en série, tout en reflétant les angoisses collectives de la ville de New York dans les années 1970.

Contexte de l’affaire

Entre l’été 1976 et 1977, une série d’attaques brutales terrorise New York, particulièrement les quartiers du Bronx, du Queens et de Brooklyn. Le modus operandi du tueur reste constant : il ciblait principalement de jeunes couples stationnés dans leurs voitures, leur tirant dessus à bout portant avec un revolver Bulldog .44. L’horreur de ces crimes résidait dans leur imprévisibilité, plongeant la ville dans un état de panique généralisée. Des restrictions de sortie furent imposées, les habitants se méfiant même de sortir à la nuit tombée.

Le surnom « Fils de Sam » n’émerge pas immédiatement. Il faut attendre la fameuse lettre envoyée à la police de New York et à la presse, signée de ce pseudonyme, pour que le tueur commence à jouer un rôle plus insidieux : celui de l’énigmatique auteur d’une série de correspondances cryptiques et presque surréalistes. À travers ces messages, le meurtrier se présente comme une entité guidée par des forces maléfiques et parle d’un certain « Sam » comme une figure sombre de contrôle et de domination, suggérant même qu’il était sous l’emprise d’une force externe, peut-être surnaturelle, qui le poussait à tuer.

David Berkowitz : l’arrestation et le procès

Le 10 août 1977, David Berkowitz, un employé de la poste de 24 ans, est arrêté dans le Bronx, après qu’une enquête minutieuse a permis de tracer l’une des lettres envoyées par le tueur. Une contravention de stationnement mal placée a également mis la police sur la piste du tueur. Lors de son arrestation, Berkowitz se rend sans résistance, déclarant froidement : « Je suis le Fils de Sam. »

David Berkowitz avoue rapidement être l’auteur des meurtres. Mais c’est son explication des motivations qui fascine et dérange. Il affirme que son voisin, Sam Carr, avait un chien démoniaque qui lui envoyait des ordres de tuer. Selon Berkowitz, ce chien était la réincarnation d’une entité ancienne, une figure maléfique qui lui dictait ses actes. Cette justification, bien qu’invraisemblable, sera au cœur de son personnage public et de l’image médiatique qui s’en suivra.

Le procès de Berkowitz, pourtant, ne sera pas aussi spectaculaire que certains pouvaient l’imaginer. Il plaide coupable et est condamné à six peines consécutives de 25 ans à perpétuité. Lors de sa condamnation, l’opinion publique se divise entre ceux qui le considèrent comme un psychopathe et ceux qui voient en lui un individu possédé par des forces obscures, une interprétation renforcée par ses lettres étranges et ses affirmations sur ses connexions occultes.

L’aspect occulte et surnaturel de l’affaire

Ce qui distingue l’affaire du Fils de Sam d’autres affaires criminelles, c’est la dimension surnaturelle qui l’entoure. Berkowitz a prétendu que ses crimes étaient dictés par une secte satanique. Selon lui, il n’était pas le seul tueur, mais un simple exécutant dans un réseau plus large de disciples d’un culte noir opérant à New York. Il aurait été initié dans cette organisation après des rencontres dans des parcs et des rituels occultes impliquant des sacrifices d’animaux.

Si ces revendications ont été largement rejetées par les enquêteurs à l’époque, l’idée d’un lien avec une secte satanique a alimenté de nombreuses théories du complot. Plusieurs chercheurs du paranormal et journalistes, comme Maury Terry, ont consacré des années à enquêter sur ces connexions occultes. Terry, dans son livre *The Ultimate Evil*, avance que Berkowitz faisait partie d’une conspiration plus vaste, reliant les meurtres à des cultes sataniques actifs à cette période. Cette thèse a été renforcée par certains éléments troublants, comme les symboles occultes trouvés sur certaines scènes de crime, les témoignages de voisins évoquant des rassemblements nocturnes étranges, et l’implication supposée d’autres figures dans les meurtres.

Berkowitz lui-même, après des années en prison, a déclaré que ses actes étaient en partie motivés par des forces obscures et par son appartenance temporaire à une société secrète. Il s’est cependant tourné vers la religion, affirmant avoir trouvé la rédemption dans la foi chrétienne, une transformation qui suscite aussi bien le scepticisme que la fascination.

Impact culturel et psychologique

L’affaire du Fils de Sam ne s’est pas seulement ancrée dans la mémoire collective en tant que série de meurtres horribles, elle a également laissé une empreinte indélébile sur la culture populaire. Elle a inspiré de nombreux films, livres, séries et documentaires, cristallisant une époque où la peur d’une criminalité galopante se mêlait à une fascination croissante pour les forces occultes et le paranormal.

Les crimes de Berkowitz coïncident avec un moment charnière dans les années 1970 où la croyance dans le satanisme et l’occultisme prenait de l’ampleur, souvent en réponse aux transformations sociales rapides et aux incertitudes grandissantes. Le mouvement dit du *Satanic Panic* n’en était qu’à ses débuts, mais les récits comme celui du Fils de Sam allaient grandement contribuer à son essor dans les décennies suivantes.

L’affaire du Fils de Sam a suscité un vif intérêt non seulement pour les aspects criminels et psychologiques, mais aussi pour ses possibles connexions avec des groupes occultes et des pratiques ésotériques. David Berkowitz a lui-même contribué à ces spéculations en affirmant que ses crimes étaient en partie motivés par des influences démoniaques et son appartenance à une secte satanique. Ces déclarations, bien qu’invérifiables en l’état, ont été reprises et développées par des enquêteurs indépendants et des journalistes comme Maury Terry, dont les recherches ont ouvert la porte à un monde complexe où se mêlent crimes, occultisme, et sociétés secrètes.

Le rôle de la « Process Church of the Final Judgment »

L’une des organisations les plus souvent évoquées dans les théories autour de l’affaire du Fils de Sam est la *Process Church of the Final Judgment*. Fondée dans les années 1960 au Royaume-Uni par Robert et Mary Ann de Grimston, cette église présente une théologie atypique combinant des éléments du christianisme, du satanisme et de l’occultisme. Elle vénérait à la fois le Christ et Satan, croyant que les deux forces opposées seraient réunies à la fin des temps pour juger l’humanité. La *Process Church* a rapidement acquis une réputation sombre, principalement en raison de son attrait pour les symboles apocalyptiques et ses pratiques secrètes.

Maury Terry, dans son livre The Ultimate Evil, explore l’idée que la Process Church pourrait avoir joué un rôle dans les meurtres commis par Berkowitz. Selon Terry, Berkowitz n’agissait pas seul, mais était membre d’un groupe plus large, une cellule de cette église satanique opérant à New York. Il s’appuie sur plusieurs éléments troublants pour soutenir cette thèse :

– **Symbolisme et rituels** : Plusieurs symboles retrouvés sur les lieux des crimes, notamment des croix inversées et des inscriptions en forme de pentagramme, rappellent les pratiques des sectes occultes. Des témoignages de voisins dans les quartiers proches des meurtres parlent de rassemblements nocturnes étranges, avec des chants et des rituels, ce qui semble correspondre à des cérémonies occultes.

– **Sam Carr et la possession démoniaque** : Berkowitz a affirmé que « Sam », de qui il tirait son surnom, n’était autre que son voisin, Sam Carr. Le chien noir de Carr, un labrador nommé Harvey, serait selon Berkowitz une incarnation d’un démon qui lui donnait des ordres de tuer. Ce récit étrange, bien que souvent attribué à une psychose, alimente les spéculations sur l’implication de pratiques occultes, peut-être sous la forme de rituels de possession ou de contrôle mental au sein d’une organisation sectaire.

– **Les connexions avec Charles Manson** : Une autre piste intrigante est la possible connexion entre Berkowitz et Charles Manson, le tristement célèbre chef de la *Manson Family*, un groupe sectaire ayant commis une série de meurtres à la fin des années 1960. Manson lui-même était soupçonné d’avoir des liens avec la *Process Church*, et Terry suppose que les deux tueurs étaient peut-être liés à un réseau plus large d’adorateurs du diable. L’idée que la *Process Church* ou une organisation similaire ait pu superviser ou encourager les crimes de Berkowitz entre dans une vision plus vaste des années 1970, où l’idée de sociétés secrètes influentes contrôlant les tueurs en série prenait racine.

Le « Culte des 22 Disciples de l’Enfer »

Dans ses entretiens en prison, Berkowitz a évoqué l’existence d’un réseau qu’il a décrit comme le Culte des 22 Disciples de l’Enfer (The 22 Disciples of Hell), un groupe secret dédié à la vénération de Satan et impliqué dans des pratiques rituelles. Berkowitz soutenait que plusieurs membres de ce culte avaient participé à ses meurtres et qu’il n’était qu’un exécutant parmi d’autres. Cette organisation aurait été active dans les environs de New York, se livrant à des rituels sataniques dans des parcs et des lieux isolés.

L’un des endroits souvent mentionnés dans ce contexte est *Untermyer Park* à Yonkers, situé non loin de l’endroit où vivait Berkowitz. Ce parc, autrefois magnifique, était devenu un lieu en ruine, attirant des groupes de jeunes et des adeptes de pratiques occultes. Selon plusieurs témoignages, ce parc était le théâtre de sacrifices d’animaux et de rituels macabres. Berkowitz a également fait référence à ce parc dans ses lettres, laissant entendre qu’il y avait assisté à des cérémonies secrètes.

L’influence des bibliothèques occultes et ésotériques

Une autre dimension souvent négligée dans l’affaire est l’influence des lectures occultes sur Berkowitz. À l’époque des meurtres, les bibliothèques ésotériques et les librairies spécialisées dans l’occultisme prospéraient dans certaines parties de New York. Des auteurs comme Aleister Crowley, Anton LaVey (fondateur de l’Église de Satan), et d’autres figures du satanisme et de l’ésotérisme étaient largement disponibles, influençant potentiellement des esprits fragiles comme celui de Berkowitz.

Aleister Crowley, par exemple, prônait une philosophie basée sur la volonté individuelle comme loi suprême (*Do what thou wilt shall be the whole of the law*), un principe qui pourrait avoir résonné avec Berkowitz, cherchant à rationaliser ses actes par une croyance dans une liberté spirituelle absolue. Crowley était également associé à des pratiques de magie sexuelle, d’invocation d’entités spirituelles, et à une fascination pour les rituels. L’accès à ces ouvrages, combiné à une vulnérabilité psychologique, aurait pu encourager Berkowitz à plonger dans des pratiques dangereuses.

Anton LaVey, quant à lui, prônait une approche plus théâtrale du satanisme à travers sa *Bible Satanique* (1969), mais certains de ses adeptes prenaient ces idées plus littéralement, notamment en participant à des cérémonies de magie noire et à des rituels d’invocation. Il est possible que Berkowitz ait été influencé par cette littérature, que l’on pouvait trouver dans des librairies occultes de l’époque.

Conclusions sur les connexions occultes

L’implication de David Berkowitz dans des pratiques occultes, bien que souvent considérée avec scepticisme, trouve des échos dans les récits de l’époque et dans les théories avancées par certains journalistes et chercheurs indépendants. Si les forces de l’ordre n’ont jamais officiellement confirmé l’existence d’un culte ou d’un réseau plus large derrière les meurtres, il est indéniable que les aspects occultes de l’affaire continuent de fasciner. La *Process Church*, les rituels dans des parcs isolés, et les bibliothèques ésotériques ont tous alimenté une ambiance de mystère et de suspicion autour des motivations de Berkowitz.

Les années 1970 étaient également un terreau fertile pour les théories occultes, à une époque où l’intérêt pour le satanisme et le paranormal montait en flèche aux États-Unis. Les connexions entre ces courants spirituels et certains actes criminels ajoutaient une couche de mysticisme aux tragédies de cette époque, renforçant l’idée que certains tueurs en série, comme Berkowitz, agissaient sous l’influence de forces plus grandes, réelles ou imaginaires.

Ainsi, l’affaire du Fils de Sam dépasse la simple dimension criminelle pour devenir une véritable énigme où se croisent les frontières de la réalité et du surnaturel, de la psychologie et de l’occultisme. Il est possible que nous ne connaissions jamais toute la vérité, mais ces aspects occultes continueront d’intriguer ceux qui cherchent à comprendre le mystère profond qui entoure David Berkowitz et ses crimes.